› LE MANOIR du DICQ

par Jean Barros, historien

Ce manoir (propriété privée) est situé en limite des communes de Portbail et Besneville à 250 mètres de la D264 (ancienne route de Portbail à Saint-Sauveur-le-Vicomte).

Avant le milieu du XIVème siècle, le manoir du Dicq était situé, comme nous l’indiquent des textes de1397, 1438, 1549 et 1665, au village de La Rivière en bordure du havre sur une pièce de terre nommée « La Croutte du Dicq » où des vestiges étaient encore visibles en 1665. Le texte de 1397 nous apprend que ce manoir « fut abattu par le commandement du Roy de Navarre et de ses gens tellement que riens ny demoura en estat ». C’est probablement au cours de la chevauchée en Normandie de Philippe de Navarre et du duc de Lancastre (juin-juillet 1356), au cours de laquelle l’abbaye de Lessay fut mise à sac, que ce premier manoir du Dicq fut détruit.

L’actuel manoir du Dicq a été construit par Pierre du Castel, écuyer, seigneur de La Balle d’Aubigny qui avait acheté la terre du Dicq en 1549. Il a été remanié par les Vivien à la fin du XVIème siècle et par les Poërier de Portbail au début du XVIIème siècle. Gilles Poërier épousa Suzanne Vivien, fille de Pierre Vivien, et par ce mariage devint seigneur du Dicq. Il était l’ami du jersiais Georges de Carteret (né vers 1609, + en 1680), gouverneur de Jersey. Au cours de sa vie aventureuse et agitée, Georges de Carteret, resté fidèle aux Stuart, fut obligé de résider fréquemment sur le continent. En 1649, il résida au manoir du Dicq, chez Gilles Poërier.

Ce manoir étage à flanc de coteau l’ensemble pittoresque de ses bâtiments. La cour est entièrement fermée par des constructions à l’aspect trapu et solide, munis par endroits de solides et massifs contreforts. Le Dicq avait conservé jusqu’au milieu de la deuxième moitié du XXème siècle sa chapelle seigneuriale: elle a depuis été transformée en habitation. La charterie s’ouvre sur la cour par deux arcades en plein cintre. La façade sur cour du logis seigneurial est percée de fenêtres dont les meneaux ont disparu. A la partie gauche du logis, un escalier extérieur mène quand on a franchi la porte à fronton triangulaire (début XVIIème siècle), dans une grande salle dont l’imposante cheminée à colonnettes, chapiteaux corinthiens et corniche ( inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1928 ) porte sur son manteau les armes de la famille Poërier: «d’azur au chevron d’or accompagné en chef de deux étoiles d’argent et en pointe un croissant d’argent ». L’écu soutenu par deux lions affrontés est surmonté d’un casque de chevalier portant au cimier un aigle posé. 

La légende fait de cette grande salle la chambre de Suzanne Vivienne, dame du Dicq, qui était dure avec ses tenanciers, «assoiffée d’or, thésaurisant sans cesse, c’était une avaricieuse» ,inspirant la crainte aux alentours. Brouillée avec tous, elle le fut aussi avec Dieu  «Garde ton paradis et me laisse en mon Dicq ! »  répondait-elle à son chapelain qui l’exhortait à la charité. Quand elle mourut, elle n’eut pas le droit à la sépulture chrétienne: quand le cortège funèbre se mit en route pour l’église paroissiale Saint-Martin, le chariot sembla ancré au sol, les bêtes tirant à plein collier ne pouvaient lui faire faire un tour de roue … Pour l’enlever il fallut atteler treize chevaux. Alors que le cortège franchissait la limite de la propriété, une fumée intense et une intolérable odeur de soufre dispersèrent l’assistance, la terre s’entrouvrit et la bière fut précipitée dans le gouffre qui se referma aussitôt.

Deux tours jumelées, de diamètres différents, sont accolées à la façade postérieure du logis. A l’intérieur, un escalier en vis permet l’accès à l’étage du logis, à une salle de guet avec cheminée et, au-dessus, à une volière à pigeons. Ainsi que le montre une ancienne carte postale (vers 1910), les couvertures en poivrières, aujourd’hui remplacées par des chapes de ciment, de ces deux tours ainsi que la toiture du logis étaient en pierre.

Le fief du Dicq s’étendait sur Portbail, Gouey, Saint-Lô-d’Ourville, Saint-Jean et Saint-Georges-de-la-Rivière et Le Mesnil. A l’origine, il dépendait de la baronnie de Néhou. En 1283, à la suite du partage de cette baronnie, il fut inclus dans la baronnie dite d’Orglandes. Mais, dès la fin du XIVème siècle, il relevait directement du roi.